J'ai ressenti, à la lecture d'un cahier qu'une adorable jeune fille d'une douzaine d'années m'offrait de lire, dans lequel, partant d'un rêve, elle racontait l'histoire fictive et malheureuse d'une autre qu'elle - elle sans l'être -, une émotion esthétique en intensité plus forte que jamais auparavant ; jamais devant les imposantes ouvres de Delacroix, non plus devant les couleurs d'un Matisse, d'un Cézanne, devant les élans d'un Picasso tentant d'approcher l'art de l'enfant ; devant les paysages nettoyés de toute impureté, réduits à la ligne et à quelques aplats de couleurs dégradés, d'un Kuniyoshi, ni à l'inverse, devant les paysages vaporeux d'un Turner ; jamais - jamais tant en lisant ceux capables de découvrir la poésie des maux, Poe, Sade ; Kafka, Stoker ; à la lecture de Lucrèce et de Sénèque, de La Boétie, de James : ceux-là qui me révélèrent à moi-même, et puis jamais plus en lisant les chroniques des passions mélancoliques des personnages de Dazai surtout, de Sôseki, de Goethe, combien j'ai aimé ceux-là, envié certains ; je les ais contemplés, j'ai réfléchi avec eux tous ; combien leurs ouvres m'apparaissent petites à côté de celle de cette enfant.
Ce n'est pas que l'écriture de cette jeune fille ait été hors normes, non, quoi qu'elle montrait quelques qualités qui la rendaient à peine naïve pour son âge. Eh, je sais que l'intimité du don qu'elle me fit est un facteur inéquitable s'il faut la comparer à ces autres illustres, issus de mondes tellement lointains dans le temps ou l'espace, parfois, et qui n'ont donc pu me penser comme destinataire, même pas en tant qu'être abstrait appartenant à un plus grand organisme, ou sinon de manière tellement vulgaire que ce n'est pas à considérer. Mais je vois que ce n'est pas cela seulement, le don intime, qui rend son ouvre supérieure en puissance à toutes celles des artistes notables que j'ai connu et aimé de notre monde.
Je le vois : je le vois qu'elle n'a pas créé pour le marché de l'art, obéissante à une demande extérieure (celle des consommateurs ; manifestant ainsi un art qu'on douterait issu d'un coeur) mais pour elle-même, obéissante à une demande intérieure. Sa production procède de l'art, de l'art véritable, non de quoi que l'économie s'est approprié et a appelé « art », non ! Sa production n'a d'égal dans l'Histoire - et dans cette Histoire qu'il faut encore idéaliser ! - qu'à Lascaux. « L'art véritable », voici ce que cette jeune fille a manifesté dans ce monde : un art véritable : L'expression supra-verbale, métaphorique, faite extérieure et détaillée d'un soi ; aussi, issu d'une démarche identifiable comme étant sincère, procédant d'une intention qui néglige largement les définitions et les critères esthétiques qui servent à établir la valeur marchande, qui servent au commerce. L'art ne peut apparaître véritable dès lors qu'il est lié à des intérêts marchands, dès lors qu'il est produit selon une logique autre que celle sincèrement sienne, mystérieuse et intérieure.