Intime Gwynette

1.

La fumée s’estompa lentement, et progressivement le visage de Gwynette réapparut, d’abord par les couleurs de son visage maquillé, les touches de bleu au-dessus de ses yeux et le rouge vif de ses lèvres, puis les traits ridés de son visage : un visage comme le parchemin desséché. Gwynette était une femme émaciée et toutefois bien portante. Comme elle était d’une bonne taille, il lui fallait souvent baisser la tête pour parler à son interlocuteur, ce qui lui donnait toujours l’air de toiser l’autre. Ce n’était toutefois jamais ce qu’elle faisait. Sa longue expérience de la vie lui avait permit de découvrir quelques-uns des secrets de l’existence et parmi ceux-là, l’un au moins, avait été raison qu’elle fut humble et à l’ego sans délire.

« Oui... Oh, cela est vrai. Cela est une vérité » dit elle à son interlocuteur après un long moment de réflexion.

Gwynette tira à nouveau sur sa cigarette, lentement, et détourna le regard vers le paysage d’au travers les carreaux crasseux de sa loge sombre. Elle observa fixement la forêt désolée, ce bois mort qui ceinturait tout l’hôtel qu’elle gérait. Elle s’attarda longuement sur une branche au loin que le vent s’amusait à chatouiller et qui tentait comme de se dérober. L’homme en face d’elle se joignit à elle dans la contemplation, posa ses coudes contre la table crasseuse et fixa le paysage parallèlement à Gwynette.

Guibert était un homme ténébreux, accoutré en général sinistrement, quoi que non sans une certaine élégance. Mais ce dernier point était tout à fait accidentel. Ses habits n’étaient pas utilisés pour véhiculer un message à l’attention de quiconque, pour leur communiquer comment interagir avec lui, ou dans le but d’éloigner, ou dans le but d’attirer certains qui pourraient s’imaginer un sens intéressant à ce code. Guibert n’a jamais véritablement souhaité interagir avec les autres. Il souhaitait disparaître à la vue de tous et ses vêtements sombres, et son chapeau toujours baissé sur son regard n’étaient aucunement un mode d’expression. Son accoutrement, bien moins pensé qu’il n’y paraît, était un mode de dissimulation.

C’est Gwynette qui rompit le silence de la contemplation.

« Guibert, est-ce que tu te souviens quand tes projets, qui t’ont menés à cet hôtel, ont été abandonnés ?

— ...

— Tu ne sais pas ?

— Un jour passe, puis un autre. Puis un jour on oublie, je suppose.

— Est-ce si simple ?

— Pourquoi fais-tu cela, Gwynette ? Quelle motivation trouves-tu encore, à tenir cet hôtel ?

— À quoi bon se questionner sur mes intentions si elles servent les tiennent ? Ou bien, y aurait-il encore des mystères qui te passionneraient pour ce monde ? » questionna la vieille femme en fixant l’homme, un sourire taquin au visage.

Guibert ria mélancoliquement, de bon cœur toutefois.

« Tu sais, reprit Gwynette, c’est très dur pour moi. Je m’attache beaucoup aux gens, et j’ai pleuré pour chacun d’entre eux que j’ai enterré. Je souffre tellement. Je les rejoindrais bien volontiers, tous ; seulement, qui enterrerait la pauvre Gwynette ? Qui la pleurerait ? Et puis... il faut bien que quelqu’un reste pour vous pleurer, vous autres. »

Comme en réponse aux larmes évoquées, des gouttes d’eaux vinrent tapoter aux carreaux. Quelques minutes plus tard, la pluie battait si fort que Gwynette et son interlocuteur cessèrent de parler et tirèrent silencieusement sur leurs cigarettes, en se laissant hypnotiser par les grondements de ce qui maintenant avait mue en tempête. Se faire entendre devint difficile : c’était là une bonne occasion de se taire et ils apprécièrent longuement au calme et en silence l’agitation tonnante d’au-dehors.

« Gwynette... ?

— Mmh ?

— Tu n’entends pas ?

— Oh, quoi donc ? L’orage ?

— Non, on frappe à la porte du hall, je crois.

— Oooho ?... Ah, tu as peut-être raison. »

La vieille femme se leva difficilement, vérifiant par la douleur si son corps interdisait ou non chaque mouvement de la séquence.

Elle rangea sa chaise sous la table.

Elle contourna les piles de livres et évita autant qu’elle le pouvait le désordre de l’arrière bureau dans lequel elle se trouvait, ouvrit une porte et se trouva derrière le comptoir d’accueil de l’hôtel. Elle souleva un battant pour passer de l’autre côté, et seulement à l’approche de la porte d’entrée elle eut la certitude de n’avoir pas imaginé que l’on y toquait.

« J’arrive, j’arrive », dit nonchalamment Gwynette, plus à elle-même qu’à la personne derrière la porte tant elle parlait bas et tant la pluie battait. »

Gwynette tira le loquet et ouvrit la lourde porte de bois noircie de moisissures. Devant elle se tenait une jeune fille aux longs cheveux blonds qui gouttaient abondamment. Celle-là ne regardait pas directement Gwynette, mais la vieille femme perçut son visage : son visage chlorotique, pâle, aux lèvres à peine visibles, sur lequel ressortaient d’autant plus fortement deux yeux aux contours enduits largement, et un peu grossièrement, d’un noir charbonneux. Ses iris bleus de ciel d’hiver semblaient la continuité sous le noir de la pâleur de sa peau.

« Bon sang, jeune dame. Mais quel âge avez-vous ? s’exclama mollement Gwynette.

— Vingt-deux ans, madame.

— Entrez. »

Gwynette passa derrière le comptoir et sortit un immense registre.

« Quel drame, marmonna la vieille femme. Comment vous appelez-vous ?

— Iphie.

— Me raconteras-tu ton histoire, Iphie ?

— Oui. Mais pas tout. »

Gwynette consigna silencieusement diverses informations dans son registre, et la jeune femme demeura silencieuse et immobile tout ce temps, n’osant pas décoller son regard des planches poussiéreuse du parquet. Sans détourner son visage du registre, Gwynette s’exprima.

« Si jeune... Je vais te poser une question, mais je crois déjà savoir la réponse. C’est que, toujours, il y a une lueur d’espoir que je ne peux pas m’empêcher de regarder (oh, sans la fixer)... Tu connais cet hôtel ? Je veux dire, tu n’es pas là par hasard...

— Non, répondit la jeune femme après un instant d’hésitation, je sais ce qu’est cet hôtel.

— Bon... »

Gwynette leva les yeux du registre et les plongea dans les gouffres noirs de la belle blonde aux fonds de chacun desquels brillait une perle qui donnait l’air de chasser les ténèbres de charbon. Le regard de la vieille dame exprimait en égale quantité chagrin et tendresse, et elle adressa à sa nouvelle hôte un sourire teinté de douleur.

« Tu resteras un peu, au moins... ? questionna faussement distraitement Gwynette.

— Je ne sais pas...

— La nuit, au moins... ?

— Je ne sais pas...

— Bien. J’en ai terminé avec la paperasse... Votre chambre est la numéro dix-huit. Prenez le petit escalier en bois, là... Au deuxième étage vous arriverez dans un couloir... Vous y trouverez votre chambre. Attention à ne pas vous tromper de porte... La numéro dix-huit, n’oubliez pas. »

Iphie hocha la tête, tourna les talons et monta à l’étage. Gwynette la fixa mélancoliquement jusqu’à ce qu’elle disparaisse dans l’escalier, et demeura même encore interdite quelques instants. Finalement, elle se retourna et entra à nouveau dans l’arrière bureau. Elle demeurra immobile dans l’entrée. Elle fut interloquée de ne pas trouver Guibert où elle s’attendait à le voir, près de la fenêtre, accoudé à la table, mais ne fut pas surprise non plus quand une volute de fumée s’échappa immédiatement à côté d’elle.

« Pardon, j’écoutais. » dit Guibert nonchalamment.

Il était adossé contre le mur qui encadrait la porte.

« Ah, vous autre... Vous ne vous souciez vraiment plus de grand de choses, pas de l’intimité, en tout cas, s’exclama sans conviction Gwynette qui allait pour s’asseoir à la table sous la fenêtre.

— Ah ! Ah ! s’exclama Guibert dont le rire sonnait toujours faux. Et toi, Gwynette, quels sont tes soucis ? »

La vieille femme inspira lentement, puis expira calmement tandis qu’elle se réinstallait devant la fenêtre.

« Allons, rejoins-moi, mon ami. Parlons en écoutant la pluie. »

2.

La pluie battait depuis maintenant plusieurs heures. Gwynette et Guibert parlèrent longuement, et parlèrent de rien. De rien ou de ces petites choses qui amusent et interpellent différemment tout un chacun. Ils se distrayaient ainsi à découvrir l’autre, et pour Gwynette, à découvrir, encore et encore sans jamais s’en lasser, comme l’autre est toujours si proche de soi et les variations de goûts si infimes. Elle avait participé à tant de ces discussions, avec tant de personnes différentes : Pour Gwynette, le sens de cette communion était chaque fois le même : se persuader que la solitude qu’elle ressent au quotidien n’est qu’une illusion.

Le regard dans le vague, semblant s’adresser à elle-même, Gwynette dit : « C’est une soirée agréable... une belle soirée... »

— Oui... » répondit Guibert.

3.

Dans la chambre pauvrement meublée d’Iphie, un flash lumineux teint soudain de noir les ombres, et de blanc tout ce qui n’en était pas. Elle était recroquevillée dans l’alcôve de la fenêtre et se laissait, comme Guibert et Gwynette à l’étage d’en dessous, hypnotiser par la pluie battante.

Iphie perçut bien l’éclair, mais son esprit vagabond l’oublia alors que la seconde prolongation de ce phénomène n’était pas encore parvenue à l’hôtel, et lorsque le son tonitruant d’un coup de fouet titanesque éclata, elle sursauta et fut éjectée de force de sa rêverie.

Le vent s’engouffrait de partout dans cette chambre, certaines planches de bois laissaient même entrevoir subtilement l’extérieur. Redevenue consciente, Iphie réalisa qu’elle avait froid et alla se saisir de sa couverture. Elle s’en enroula et retourna contempler l’extérieur, blottie son alcôve.

Ici, au regard de cette nature terrible, elle se sentait calme. La forêt pouvait bien porter aussi loin que l’éternité, être le royaume sans roi de tant de morts, de tant de ces aventuriers, voyageurs, explorateurs, mélancoliques et nostalgiques engouffrés, et le ciel pleuvoir comme la bave d’un monstre refermant sa mâchoire sur l’autre, dentelée des cimes d’automne ; le monde pouvait bien se faire broyer, il semblait qu’ici, au travers des vitres de l’hôtel, on était que spectateur hors d’atteinte.

Iphie demeura ainsi, contemplative, un long moment, quand dans la chambre d’à côté, un raffut démarra. Il y avait deux personnes aux voix pratiquement similaires, à quelques notes près et qui semblaient s’invectiver mutuellement. Ces agitations provoquaient chez la jeune femme un effet similaire à celui de l’orage aussi alla-t-elle s’asseoir sur la chaise poussiéreuse près de la paroi en bois qui séparait sa chambre et celle des deux chamailleurs pour mieux apprécier la violence qui fulminait de l’autre côté.

« Cling ! » : Le fracas d’un vase brisé.

« Tu as encore bu, idiot ! morigéna une voix chargée d’intonations larmoyantes.

— Ah, tais-toi !

— Pourquoi ?

— Je... Oui, Pourquoi... ? »

Il y eut un moment de silence, puis un hurlement furieux qui dura jusqu’à ce que, semblait-il, la personne n’ait plus de souffle.

« Ah, je sais ! Maugréa une des voix. C’est parce que je veux la guerre, mais il n’y en a plus de belles à mener dans ce monde ennuyant. Mener des batailles, ça c’est beau ! Mais quand elles en valent la peine seulement. Je fais de mon organisme et de mon cerveau un champ de bataille. Je crée une situation de combat qui consistera à mettre debout ce foutu corps. Mais je veux le voir à terre d’abord. Je veux le voir à terre pour savoir si quelque chose de suffisamment fort existe ici-bas pour pousser cette loque à se tenir sur ses deux putains de jambes d’estropié, souffrir à chaque pas et, même tremblant, quand même avancer parce que... parce que... “cela”, “cela”... “Cela” !... importerait ! Et s’il doit mourir à terre, c’est qu’il n’y avait rien, rien, rien. Que ce monde ne vaut rien, rien, RIEN ! »

L’autre voix éclata alors en sanglots : un sanglot interminable qui fit naître une émotion emplit de paradoxes en Iphie, tout à la fois chargée d’empathie et d’un plaisir à découvrir un être au moins aussi misérable qu’elle. Fermant les yeux, elle se laissa bercer par cette tempête qui n’avait, pour la jeune femme, aucune différence avec celle qui battait à l’extérieur.

Les sanglots s’interrompirent soudainement, et celle-ci des deux voix, pleine de tremolos, exprima les mots suivants : « Ah, oui... Entrez... »

Iphie n’avait entendu personne frapper à une porte.

« Ah, Gwynette. » balbutia la voix aux tremolos.

Gwynette, si elle parlait, s’exprimait si bas qu’Iphie ne pouvait l’entendre. Sans doute connaît-elle mieux que quiconque le mode de déploiement de l’acoustique dans cet hôtel.

« Pardon, Gwynette, pardon... Oui... Oui... Mmhm... Oui, tu as raison... »

Iphie entendit le loquet de la porte se caler dans l’encadrement et le silence se fit, et Iphie n’entendit plus jamais un son provenant de cette chambre. Elle resta un moment assise droitement sur sa chaise, adossée contre le mur, les mains sagement posées sur ses genoux. Et puis la douleur surgit à nouveau. Elle se la figurait comme un serpent noir, « d’ombre », elle dirait, qui se faufilait derrière les objets, toujours tapis, toujours prêt à se montrer. Elle se figura d’entendre son sifflement, et puis elle se figura de le voir dépasser d’entre une commode en bois pourri et la calebasse d’une plante mourante, et ramper, lentement, vers elle.

« Crash ! » fit une horloge en cognant le sol, projetée là où était figuré le serpent.

« Assez, laissez-moi !! » hurla Iphie en se levant soudainement.

Elle fit alors les cent pas, tournant en rond dans sa chambre : cela, parfois, calmait la douleur. À un passage, elle sortit une feuille d’un tiroir du bureau, et plus tard un crayon, et plus tard, debout et toujours au détour de son chemin, elle écrivit une phrase, et plus tard une autre. Elle rédigeait une lettre, marcheuse solitaire à la lueur de la lune qui perçait au travers des carreaux de sa chambre.

4.

Gwynette s’éveilla péniblement. Le divan sur lequel elle dormait depuis des années dans l’arrière salle était largement responsable de ses douleurs matinales. Quoi qu’elle pût trouver mieux pour dormir, elle ne le faisait pas. La douleur, Gwynette assumait de la rechercher, non pas qu’elle lui apportait quelque plaisir, mais au contraire pour l’exécrer, se la remémorer chaque jour, et en contrepartie savoir profiter des temps où la douleur s’absente, savoir repérer ces fenêtres de paix qui n’existeraient pas sans la douleur pour en tracer les contours. Sans la douleur, elle imaginait que sa vie serait comme une morne promenade joyeuse, démunie de la conscience d’un pan entier de la poésie, d’une dimension qui donne au poème sa puissance sur soi. La poésie existerait sans doute dans une société dans laquelle des ingénieurs sauraient démunir les cervelles du mal-être, des peines, et décupler et pérenniser les effets de ces substances chimiques cérébrales qui nous font nous sentir heureux, et dans cette société l’on créerait sans doute toujours, mais quelle morne œuvre peut seulement produire un esprit en permanence satisfait ? Une telle créature serait pour Gwynette proprement indigne d’être qualifiée d’humaine.

« Ah, ne sommes nous pas indignes à d’autres qui sauraient nous voir en vérité ? Comma la douleur, existe-t-il d’autres de ces affects qui doivent porter la poésie plus haut ? Qui doivent améliorer les puissances de ces forces qui s’exercent sur l’esprit ? Ah, y a-t-il d’autres de ces dimensions, ignorés de nos capacités, qui doivent sublimer la poésie ? » songea Gwynette.

La vieille femme se leva complètement de son divan. La lueur blafarde des matins gris de ces bois plongeait à travers les déchirures des vieux rideaux et révélait, virevoltantes, les cendres et la poussière de la veille silencieuse passée principalement en compagnie de Guibert. Cette pâle lueur révélait la pièce dans tout son éclat terne. Des piles de livres poussiéreuses et qui n’ont pas été touchées depuis bien longtemps s’élevaient un peu partout, certaines jusqu’au plafond ; ici et là traînaient quelques journaux à terre, relatant les chroniques d’un monde bien lointain pour Gwynette et ses pensionnaires. Il y a bien longtemps qu’elle ne lisait plus, ou sinon des bribes de temps en temps qu’elle se souvenait aimer autrefois. Son bureau ainsi qu’un fauteuil dans un des coins de la pièce étaient également obstrués d’ustensiles divers, là une cafetière, là des tasses, mais comme partout ici, d’une importante quantité de livres surtout. Seule une petite table en bois crasseuse sur laquelle était un cendrier et deux chaises, installées près de la fenêtre, demeuraient encore fonctionnels et dénués d’encombrements.

L’orage de la nuit était passé, et le silence maintenant fait alourdissait le lieu, nimbant cet endroit familier d’une aura solennel, funéraire : Gwynette sentait ce matin — une étrange idée — impérieuse —, par quelque voie mystique, par quelque sens obscur travaillant sans rendre de compte à sa conscience, qu’une personne était « partie » dans la nuit, et que le hall vers laquelle elle se dirigeait, compterait un pensionnaire de moins.

Gwynette observa pensive le ciel, un court instant ; se maquilla debout en face d’un miroir terni qui renvoyait à grand peine son reflet ; enfila une veste (elle avait dormi habillée), puis sorti finalement de l’arrière salle.

5.

Du fond des deux gouffres charbonneux du visage d’Iphie, deux petits yeux observaient les pensionnaires venus se restaurer dans le hall. Un pauvre brasero illuminait pâlement du centre de la pièce les personnages venus se rassembler pour manger. L’aube grisâtre, qui pénétrait à grand peine le hall par deux petites fenêtres, illuminait à peine le lieu et ceux qui s’y trouvaient. Chacun était isolé des autres, et isolé par rien sinon un affreux imaginaire qui construit des murs de verre. Le vieil homme en gilet à carreaux, assis seul sur son banc, qui fixait le sol, est de l’avis qu’il ne s’agit pas que d’un affreux imaginaire qui sépare les uns des autres. Il se figurait parfois chaque autre comme un corridor plus ou moins long, et décrépit à mesure qu’on s’y enfonce. Il se figurait qu’en son tréfonds était tiré un rideau qui occultait la dernière section, toujours emplit d’horreurs indicibles ; et qu’entrevoir cela chez une personne, c’était s’abîmer... Mais il se figurait aussi, parfois, et ce jour en particulier, qu’il inventait tout cela pour légitimer sa couardise. Ce vieil homme s’appelait Henry.

Iphie buvait de toutes petites cuillerées de sa soupe, sans jamais quitter les autres du regard. Elle ignorait la couleur de ce qu’elle amenait à la bouche, n’avait, à vrai dire, cure de ce qu’elle mangeait. La faim ou la nécessité ne la faisait pas agir, seulement l’habitude. Lorsqu’elle y pensa, elle cessa. C’était la dernière fois qu’Iphie allait se mêler aux autres. Si elle devait encore manger, elle le ferait ailleurs, ou autrement, pensait-elle...

Voyant cette jeune blonde s’immobiliser, Henry se dit que cela pouvait signifier une ouverture aux autres. Peut-être qu’elle se questionnait sur ceux-là, et peut-être que lui-même, en tant que pensionnaire de longue date, pourrait aller l’intéresser à propos de la vie à l’hôtel.

« Bonjour, jeune fille...

— Mmhm, marmona Iphie en guise de réponse.

— Je... Je vous ai vu et... »

Henry hésita en percevant un spasme subtil d’agacement sur le visage de la jeune femme.

« Tu es... très jolie, dis-moi...

— Laisse-moi, abruti de porc, murmura Iphie en continuant à fixer ses pieds. Elle venait d’avoir une montée de sang sitôt la remarque de Henry prononcée, et continua à voix basse : Ça t’excite, de me voir comme une mignonne fragile et innocente ? Ne me regarde pas comme une enfant. Je baiserais le premier venu, sauf toi, pour qu’on arrête de me regarder comme ça. Je maudis ce visage d’enfant, et tout le maquillage n’y fait rien. Il y en a toujours comme toi pour me lancer ce regard qui dit « quelle pauvre et adorable enfant ». Tu me vois comme une victime exquise, n’est-ce pas ? Cela touche ton sens de l’esthétique ? C’est rien, ça. Je ressens moi-même un attrait pour les choses, disons, “sombres”. Mais si c’est aussi ton cas, lis ! Lis le marquis de Sade, lis Ann Radcliffe, lis Raskarov — peu importe —, mais c’est très dangereux dans la réalité de faire d’autres, de moi, une Justine ou une Adeline. Ne fais pas de moi, en me renvoyant une image — par des propos débiles que tu crois très malin et très légitimes à dire parce que tu te penses dénué de mauvaises intentions —, ne fais pas de moi une sainte poupée innocente ! Je suis capable de faire du mal. Je l’ai fait ! J’ai des envies sexuelles. Je mens, des fois ; j’ai déjà profité de gens comme toi... Je manipule. Je pleure et j’apitoie, des fois. Je vais te dire ce qui me dégoûte chez les hommes comme toi : Vous êtes tellement persuadés d’être de bonnes personnes en étant les protecteurs des faibles, que vous voir m’approcher me dégoûte, car me marque sitôt comme “faible”, comme “naïve”... Vous faites ça avec toutes les femmes, avec toutes les filles. Vous les conditionnez, les habituez à se voir marquées comme « faible », vous les dressez sans même en avoir conscience. »

Iphie leva le regard vers le vieil homme et haussa la voix.

« Et voilà pourquoi si peu de celles qui passent leurs temps d’enfant et d’adolescente à se faire réduire ainsi par des soi-disant « gens de bien » ne savent pas l’ouvrir ! Ne savent pas crier leur haine comme les hommes le font si librement en dessin et en art ! Ça ne devrait pas être rare ! »

Elle haletait. Le silence s’était fait dans le hall et tous observaient calmement l’étrange hystérique. Ce spectacle, en dehors de sa forme, n’avait rien d’inhabituel. Ils étaient nombreux à craquer dans cet hôtel.

Gwynette fixait Iphie ; avec insistance, avec tant peut-être que c’en fut la raison pour laquelle la jeune fille releva son visage vers, d’entre tous ceux qui la fixaient, Gwynette. Et Gwynette n’exprimait rien. Iphie se leva, prit l’air le plus contenu possible, posa calmement sa soupe là où elle était assise, et s’en alla par l’escalier. La vieille femme espérait lui parler, mais n’espérait pas le faire immédiatement, ou bêtement à l’écart des autres. Il fallait qu’Iphie se retrouve seule d’abord. Il fallait aussi, pensa-t-elle, qu’elle veilla particulièrement avec celle-ci à n’être pas protectrice. Mais cela n’a jamais été l’attitude de Gwynette à l’égard des autres. Si jamais elle avait une posture par rapport à ceux-là qui fréquentent son hôtel, c’était celle d’une curieuse.

6.

Bercés par le silence de la bruine, Gwynette et Guibert jouaient à un jeu de carte.

« Gwynette... »

La vielle femme leva les yeux de son jeu et suivit le regard de Guibert qui fixait quelque chose à travers la fenêtre.

« C’’est un homme, qui part vers la lisière ? Questionna la vieille femme. Oh, je ne vois pas bien, mon ami...

— On dirait un homme, oui.

—... »

L’air absent habituel de Gwynette disparut en un clignement d’yeux de Guibert. Il les rouvrit sur une femme différente, au regard sévère, emprunt d’une vivacité cérébrale qu’on ne voit guère que feinte sur les portraits de ces illustres inconnus qui ornent les murs des couloirs de l’hôtel.

« C’est Henry ? reprit Gwynette.

— Henry ?

—... Avec Iphie...

— Ah ! non, je ne crois pas. »

Et le visage de Gwynette revînt à son état habituel, neutre. La vieille femme semblait décontractée, et fixa à nouveau ses cartes.

Elle déposa un trois de cœur sur la pile.

Guibert hésita longuement.

« Je passe, soupira-t-il.

— Mmhmm, marmonna Gwynette, l’esprit manifestement ailleurs. Je vois... »

Elle avance sa main vers une carte, puis elle se ravise. Elle tire une autre carte de son jeu et la dépose sur la pile. C’est un as de cœur.

« Gwynette... Il n’aurait pas été la victime d’Iphie pour autant... »

La vieille femme posa ses cartes dos contre table, et tira lentement sur sa cigarette en fixant le paysage immobile. L’homme qui était sorti avait disparu avec la bruine.

« Gwynette, tu as vieilli », lâcha nonchalamment Guibert qui pondérait encore les cartes de sa main.

Gwynette ria mélancoliquement, quoi que sincèrement.

« Il va falloir que j’aille le chercher, dit calmement la vieille femme. Viendras-tu avec moi ? »

Guibert fixa Gwynette un instant et, en silence, se leva. Il observa une dernière fois son jeu et posa ses cartes dos contre table.

« J’ai gagné, je crois, dit-il.

— Il se pourrait bien, oui.

— Je vais prendre la cisaille et les pelles, au sous-sol.

— Merci... Ce n’est pas la peine pour les pelles. Elles sont encore là-bas »

L’homme enfila son manteau qu’il avait accroché près de l’entrée, puis dissimula son regard dans l’ombre de son chapeau. Il sortit de l’arrière pièce et disparut lentement dans l’ombre de l’escalier qui menait au sous-sol.

7.

Gwynette se tenait à l’entrée de la lisière. La vieille femme fumait sa cigarette, impassible, même, aux pas lents et lourds, qui craquaient sur le bois mort, de son ami approchant.

Guibert s’arrêta à quelques mètres derrière Gwynette, tenant une grande cisaille sur son épaule.

Gwynette leva les yeux vers la lune, la fixant, sombre sur ce ciel sans étoiles. Elle fumait en la fixant fermement, comme s’il s’agissait de la défier. Elle la fixait, si inébranlablement certaine de n’être rien dans l’univers, qu’une telle bravade à ce monstre d’existence ne pouvait pas avoir de conséquence signifiante. Si par ce défi puéril, une réponse advenait, qu’y aurait-il à craindre ?

« Ah, Guibert... vois-tu comme l’univers nous ignore ?... Nous laisse en paix, pour le meilleur et pour le pire... »

« C’est une belle nuit, Guibert », reprit Gwynette après un instant de silence.

Guibert ne répondit pas.

« Guibert... Tu es fatigué ?

— Un peu.

— Joueras-tu quand-même avec moi, après ?

— Oui. »

Ils entrèrent dans la lisière. Le vent se tut, et les bruissements de tout ce qui est dans un bois cessèrent, comme si la forêt se faisait attentive. Seul s’entendait encore le grincement arrogant d’une corde qu’un lest tendait, tandis qu’il se balançait.

8.

Iphie n’avait rien manqué de la scène du haut de sa chambre. Assise dans la mince alcôve de la fenêtre, une jambe repliée et l’autre pendante, le dos calé contre une poutre, elle avait vu l’homme disparaître dans la lisière de la forêt. Il ne pouvait être que celui qu’elle avait agressé plus tôt. Elle avait vu aussi une vieille dame le suivre un peu plus tard — Gwynette, forcément —, et puis un dernier homme les suivre en portant une grande cisaille sur les épaules (lui, elle ne le connaissait pas).

L’homme qu’elle a agressé est allé faire ce qu’ils sont tous venus faire ici. Et quand même elle se sentait infiniment triste, et serait allé à sa poursuite si elle n’avait pas été si apathique, si elle n’avait craint de se médire au regard de celui-là qui représentait tant d’autres personnes aux yeux d’Iphie, qui étaient la cause qu’elle se sente si mal dans ce monde. Elle aurait voulu quand même lui dire qu’elle non plus n’était pas un idéal, qu’on ne peut pas exiger des autres qu’ils soient le changement qu’on ne sait apporter, qu’elle ne lui en voulait pas. Mais, se justifiait-elle, ce n’était pas à elle de le sauver, il y avait sûrement d’autres personnes aux fenêtres. Et puis, fallait-il vraiment le sauver ? Pour qu’il continue de souffrir ? Pour qu’il continue d’empoisonner les autres du miasme toxique qu’il transporte sans même en avoir conscience. Il préférera ne pas vivre plutôt qu’être conscient de cela. Mais il n’a probablement pas voulu faire uniquement le mal. « Et si moi, continua Iphie à voix basse et les larmes aux yeux, et si moi j’avais propagé un mal sans m’en rendre compte, qu’est-ce que je devrais faire ?

— Oh, mais tu le propages déjà, ce mal », interjeta Iphie à elle-même d’un ton malicieux.

La jeune fille s’imaginait souvent un autre en elle, un juge froid et cruel — et il fallait qu’elle l’ait déterminé ainsi pour qu’il ose lui exposer toutes les vérités, celles dont, selon Iphie, tant de monde se débarrasse dans le but de s’inventer idéal : dans le but de s’inventer intelligent, de s’inventer important, de s’inventer bon, de s’inventer pur, ou moins pur pour les cas les plus complexes, mais de s’inventer quand même : de s’inventer humain, humble et qu’à la fois cette humilité soit ce qui nous rende plus grands que les autres prétentieux, oh, tant de mensonges si complexes et qui occultent le monde dans sa forme véritable.

« La vérité », ça, c’était l’enfantillage d’Iphie. Elle voulait qu’il existe quelque chose derrière les masques, les mensonges et les illusions, et elle s’imaginait parfois que la mort pourrait bien lui révéler « la » vérité.

Elle dialogua pendant presque une heure avec ce juge intérieur qui la rabaissa à de nombreuses reprise. Elle fut jugée coupable de crimes de violence envers cet homme, et de crime de faiblesse pour n’avoir pas bougé quand elle l’eut aperçu allant au-delà de la lisière de la forêt.

« Ssssss » : le sifflement d’un serpent ?

Iphie tourna la tête. Rien. Elle avait beau savoir que ce serpent n’existait que dans ses pensées, elle aurait pu jurer l’avoir entendu cette fois...

Au loin, la jeune femme vit l’homme à la cisaille sortir en premier de la lisière, puis Gwynette apparut. Les vêtements de ces deux-là apparaissaient salis par la terre humide. Suite à cette vision, Iphie n’eut aucune conscience de ce qui précéda son arrivé dans le couloir sombre et silencieux devant la porte de sa chambre, ni du temps qui était passé. Elle eut subrepticement conscience des portraits qui y était accrochés, et qui la toisaient alors qu’elle marchait. Elle n’avait en tout cas pris aucun temps pour se chausser et réalisa brièvement qu’elle se blessait les pieds sur les échardes des planches de l’escalier, puis oublia. Vaguement consciente, elle observait un nouveau couloir qu’un brouillard noir occultait à quelques dizaines de mètres à peine, et qui donnait alors à Iphie l’impression qu’il s’étendait à l’infini. Cette impression puissante confinait, de fait, à la certitude, car elle ne la questionnait pas.

Elle ne sut jamais comment elle retrouva son chemin. Elle eut une fenêtre de conscience et se vit descendante à nouveau dans l’étroite cage d’escalier, évoluant dans une brume de ténèbres opaques, s’épaississant même, car alors elle ne voyait pas à un mètre.

Elle voit l’homme face à elle, l’homme qu’elle a envoyé à la mort. C’est un fantôme qui la fixe, béat, inexpressif.

Le fantôme tourne lentement la tête vers la sortie de l’escalier, puis regarde à nouveau en direction d’Iphie. Il articule quelques mots, mais ceux-là parviennent étouffés et inintelligibles aux oreilles d’Iphie.

« Pardon », voulait verbaliser la jeune femme si l’autre obscure en elle ne l’avait pas déjà anticipé et ne l’avait pas déjà mise en marche. « Oui, je le mérite. Je sors. Je sais. D’accord. »

Le hall était vide. Et la pluie se mit à battre de nouveau, emplissant tout l’espace, chassant ce qui n’était pas bruit et présence d’elle-même dans les interstices des planches de bois de l’hôtel. Un son uniforme, un son qui est ce qui n’a pas de signal, un encéphalogramme qui ne perçoit plus d’activité, qui émet et ne traduit plus la vie, qui émet l’absence, qui émet la mort.

Mais tout cela Iphie ne le percevait plus qu’à peine. Son esprit focalisait sur une chose à la fois, et embrumait tout le reste.

Là, elle vit une corde épaisse, pas très grande, d’une soixantaine de centimètres, qui servait d’ornement sous une vieille corne de brume suspendue en décoration au mur.

Iphie saisit la corde gauchement, renversant la corne par terre puis, titubant vers la sortit, fit un épais nœud à un des bouts de la corde.

Et pieds nus dans la boue, et agressée par ces milliards de kamikazes d’eau qui venaient mourir sur elle, et dégoulinante — si mince, les cheveux aplatis tout contre sa tête —, sa robe coulante le long de ses jambes, elle marchait longeant l’hôtel, tout autour de celui-ci, balançant violemment l’épais nœud de la corde contre son dos, alternant les côtés : droite, gauche, droite, gauche, droite...

Et dans l’assourdissant chaos pluvieux de la nuit embrumée, personne ne la vit marchante ainsi tout autour de l’hôtel, le longeant pendant plusieurs heures, s’abîmant jusqu’à l’épuisement le plus complet.

Sèche, effondrée sur le ventre, sa robe ensanglantée s’exposait au soleil.

9.

« Quel est le sens de tout cela, Guibert ? »

Gwynette et Guibert se tenaient debout, observant le corps d’Iphie.

« Je ne sais pas... Le sens qu’on lui donnera, je suppose, articula lentement Guibert.

— A-t-elle manqué de quelque chose, pour en arriver là ?

— Non... Peut-être avait-elle des choses en trop, au fond d’elle... Quoi que... Tu me prends au dépourvu, Gwynette. Je crois qu’il y a le matériel, et le spirituel, et si l’on distingue... »

Et pendant que Guibert pataugeait à essayer de répondre à la question de la vieille femme, il passait ses bras sous les aisselles de la jeune femme, tandis que Gwynette, tant bien que mal, en soulevait les chevilles. Tous deux allaient pour la ramener dans sa chambre.

— Shhhhh, Guibert... Je le sais, que cette question est trop vague, l’interrompit Gwynette. Je voulais seulement — attention à la marche derrière toi —, je voulais seulement... verbaliser quelque chose qui exprime ma distance par rapport à la compréhension de tout cela... ma petitesse dans le monde... invoquer les dieux, si immenses, qui nous gouvernent... non pas les toucher, mais, les voir, au moins... Je le peux presque à ce moment, Guibert... »

Gwynette marqua une pause avant de reprendre : « Les mots doivent convoquer les forces des choses. Ils ne les expliquent jamais vraiment. »

Guibert demeura silencieux, pensif tandis qu’il soulevait Iphie dans l’escalier, veillant à ne pas l’abîmer davantage.

« Je dois m’arrêter, Guibert. Je vais lâcher...

— Allons jusque dans le couloir, si tu le peux.

— Oui. »

Ils allongèrent délicatement la jeune fille au milieu du couloir de l’étage, à une centaine de mètres de sa chambre. Gwynette s’adossa à un mur pour reprendre son souffle, et Guibert l’imita. Il profita qu’elle soit épuisée, et parla lentement, se sachant écouté attentivement par son amie.

« Y a-t-il une seule combinaison de mots dans notre langue qui permettrait de dire de manière éclatante de justesse cette situation ?

— Je l’ignore, soupira Gwynette. Puis, reprenant son souffle, elle continua. Guibert ? Joueras-tu avec moi, ce soir ?

— Oui.

— Est-ce que tes vieux os sont prêts à la porter ?

— Ah ! Ah ! »

Le rire de Guibert sonnait faux. Il était sincère.

10.

Iphie fut déposée délicatement le ventre sur son lit.

Guibert découpa au ciseau le haut de sa robe, et termina juste de séparer le tissu de des chairs ensanglantées quand Gwynette revînt avec un petit baquet d’eau et un linge épais.

La vieille femme nettoyait silencieusement les plaies, patiemment, appliquant son linge sur la peau d’Iphie, noircie de grands bleus et de sang séché.

Guibert avait ouvert la fenêtre et s’était installé sur une chaise en dessous pour fumer sans déranger quiconque. Il observait le soleil se coucher.

« Guibert... dit à voix basse Gwynette, qui terminait de panser les dernières plaies du dos d’Iphie.

— Mmh ?

— Je ne suis pas éloquente. Je ne suis pas intelligente ; je ne dis pas cela par fausse modestie : Je me suis confrontée à mes limites. J’ai essayé d’écrire les choses. Mais je n’avais pas de talent. Et puis, ce que j’avais à dire : chacun le sait. J’ai beaucoup peint. Mais ce que j’avais à montrer : chacun l’a vu. »

Guibert détourna le regard de Gwynette et fixa les étoiles qui commençaient à apparaître dans l’obscurité naissante. Il tira sur sa cigarette, et expira la fumée lentement, fermant les yeux. Finalement, il rompit le silence.

« Veux-tu que j’aille chercher les cartes et une autre chaise ? Nous devrions veiller sur elle...

— Oui, répondit Gwynette en souriant tendrement.

Guibert se leva et sortit de la chambre.

11.

La nuit était noire. La respiration d’Iphie s’était faite plus régulière, plus détendue. Le linge qui avait servit à la nettoyer séchait sur le rebord du baquet d’eau, rougit de sang. Autour d’un guéridon installé près de la fenêtre, éclairés faiblement par une bougie, Gwynette et Guibert posaient tour à tour leurs cartes sur la table, silencieusement.

« Elle me rappelle... Ah, comment s’appelait-elle, déjà ? Questionna Guibert en se grattant la tête.

— Mirrie, répondit Gwynette, après un instant de réflexion.

— Oui, c’est ça, Mirrie... Elle était très belle, aussi.

— Oui, c’est vrai. »

Les deux se turent à nouveau et jouèrent silencieusement de longues minutes durant, avant que Guibert ne reprenne la parole :

« Les épicéas sont très beaux, d’ici.

— Oui, et ce vent léger est très agréable, répondit Gwynette. Guibert, reprit-elle après un instant de silence...

— Oui ?

— Dis-moi les choses qui sont belles, comme si j’étais une aveugle.

— Je ne suis pas très doué à cela...

— Ce n’est pas grave, fais-le quand même, s’il te plaît.

— Eh bien... Je peux essayer... La lune est très grande, très brillante. C’est beau. »

Gwynette souria.

« Oui, quoi d’autre ? continua-t-elle.

— Les épicéas, ils... sont grands et à la fois, devant les étoiles, si petits..., si insignifiants...

— Aaah, oui, c’est vrai.

—... Ce que je dis n’est pas beau, soupira Guibert avant de rire à sa manière qui semblait forcée.

— Si, ce que tu dis est très beau.

— Bon... Je voudrais parler de cette chambre, le veux-tu ?

— Oui, Guibert.

— La bougie, elle danse joliment. J’aime ces tremblements qu’elle provoque sur les meubles. Cela est apaisant.

— Ah ? C’est vrai, j’ai toujours trouvé cela relaxant, moi aussi.

— Les nuages...

— Les nuages ? Questionna Gwynette.

— Ils, hum... Ils semblent ne former qu’un seul et même nuage, très grand, très plat, loin au-dessus de nous.

— Ton esprit est une vraie girouette, Guibert, dit Gwynette en souriant du regard par-dessus ses cartes. »

Guibert rit à nouveau, de ce rire mélancolique mais, au fond, de bon cœur.

« Raskarov, le poète fou, reprit Guibert, a écrit sur le ciel des vers plus beaux que ce que je ne saurais jamais faire. Il est la raison pour laquelle je n’ai jamais persévéré dans l’écriture, tu sais. Je sentais en le lisant — un peu avec désespoir, au début — que tout ce que je serais seulement capable de produire ne serait rien en comparaison. Pourquoi alors ensevelir d’œuvres futiles la perle qu’il a produite ? Ne veux-tu pas plutôt que je te le lise ? »

Gwynette tira calmement sur sa cigarette, et insuffla lentement. Elle observa l’épaisse volute se dissiper et finalement reprit la parole.

« Non, Guibert. Raskarov ne me touche pas tant que toi me parlant simplement des choses que nous voyons. Son habileté avec les mots était trop grande. Ah, c’est plaisant à lire et même important à lire pour se développer l’esprit, mais... je suis méfiante envers ceux qui ont la force de mettre des images dans ma tête, aussi plaisante qu’elle puisse apparaître ou, plutôt : surtout quand elles apparaissent plaisantes... Et je ne sais pas m’abandonner tout à fait alors, dans cette posture. »

Gwynette marqua une courte pause.

« Et surtout, reprit calmement la vieille femme, Raskarov n’a jamais écrit de poésie à propos de ce ciel-là... »

Guibert posa une carte sur la pile.

« C’est Iphie qui rend ce ciel unique, dit Guibert.

— Oh ? Ah, oui... C’est bien juste, oui s’exclama mollement Gwynette.

— Qu’est-ce que tu vas faire pour elle... ?

Gwynette qui fixait ses cartes de manière inexpressive tourna le regard vers le paysage.

« Rien, Guibert. Rien... Certains de ceux qui sont là, le sont à cause d’une configuration chimique malheureuse. « Par maladie », dirait-on. J’ai vu assez de ceux-là pour pouvoir t’affirmer que leur rétablissement dépend de manière si peu signifiante de nous ou d’eux. Du chaos des contingences vont parfois s’extraire les conditions obscures du rétablissement. Cela prend des mois, des années, ou n’arrive jamais quels que soient nos soins ou nos attentions. Tout ce que nous pouvons faire, c’est offrir inconditionnellement et éternellement l’accès à ce lieu de repos où le changement pourrait se produire.

Mais beaucoup de ceux qui sont là, le sont parce qu’ils s’ennuyaient, tout simplement. Oh, “À vaincre sans périls, on triomphe sans gloire”. Ils l’ont cherché, la gloire de revenir conquérant, endurci ; de revenir témoins : de revenir aguerri, de revenir le conseiller des rois, sinon roi, de revenir des vallées de l’ombre de la mort. Ils y entrent par l’alcool, par l’anorexie, par la violence, par la drogue, par l’art. Ils s’y laissent blesser, ils s’y enfoncent, ils s’y perdent et ils y meurent lorsqu’ils y vagabondent trop, se croyant plus forts que les autres, ou espérant se découvrir plus fort que les autres. Le drame vient que l’expérience n’est pas transmissible, et celui qui est revenu du plus profond de ces vallées de l’ombre de la mort ne peut, aussi éloquent soit-il, nous partager ce qu’il a vu. Alors ils y vont encore et encore, et ils y meurent, pour la plupart. Car à aucun on a su partager... (sur le mot suivant, la voix de Gwynette se fit grave et profonde et tremblante) l’insondable... puissance du mal, puissance qu’elle peut appuyer sur soi, puissance, puissance, PUISSANCE de ces lieux, et je crois, Guibert, que le plus intrépide et le plus fort des humains n’en a vu que l’entrée, de cette vallée. Figure-toi un désert de cent-mille kilomètres carrés, Guibert. Au sommet de la plus haute dune on ne distingue que le désert, partout. Figure-toi des hommes sur ce sommet et qui en est son centre, munis d’une seule gourde d’eau chacun — plus ou moins remplie en fonction de la force vitale de chacun — pour le traverser. Figure-toi qu’au-delà de ce désert, il y a une toundra, cent fois plus large que ce désert et qui l’entoure. Figure-toi qu’au bout, il y a un escalier, qui monte sur une distance qui est celle de la terre au soleil. Et tout en haut, un rideau. Seul un humain capable de traverser tout cela avec sa seule gourde d’eau saura peut-être alors apercevoir les royaumes de... De qui... ? De Dieu ? Oh, Guibert, ne pourrions-nous pas vivre en paix ? Donner naissance à une enfant comme Iphie et savoir qu’aucun mal ne lui sera jamais fait ? Qu’aucun mal ne lui sera jamais fait par ce parasite qui s’infiltre dans les cervelles, ou par quelqu’un dont la cervelle a été prise par ce parasite, et qui leur murmure des intrigues, et qui leur murmure que peut-être, peut-être, « toi, toi, oui, toi ! Toi tu pourrais le voir, ce qu’il y a derrière le rideau. Il te faut seulement voyager un peu. Suis-moi. »

(Gwynette sanglotait) Guibert, ne pourrions-nous pas rester ensemble ? Et nous aimer, et nous accepter, et cesser de partir, de quitter ses proches pour explorer si lointainement, si vainement... »

Pendant que Gwynette parlait, Iphie s’était éveillée.

« Non », répondit-elle face au mur, comme à l’attention d’une voix intérieure.

« Non, murmura-t-elle encore confusément. »

Si elle donnait l’air de répondre à ce que disait Gwynette, il n’en était rien. Elle disait « non » à une chose toute autre, à une « chose » immatérielle, informe, innommable, à une chose qui serait une en toute chose.

Guibert regarda Gwynette avec tendresse. Il se leva et alla tâter le front d’Iphie.

Elle ne bougea pas et regardait fixement le mur, ne levant pas même un sourcil quand Guibert posa sa main sur elle.

« Elle est seulement fatiguée », dit-il lentement.

Gwynette se leva, épousseta sa robe et leva la tête fièrement. Faisant mine d’ignorer qu’une larme coulait sur sa joue, elle se dirigea vers la porte.

12.

Gwynette termina de se maquiller les paupières d’un bleu turquoise. Elle s’était particulièrement appliquée ce matin. Elle avait également choisi de porter une élégante robe en flanelle noire qu’elle avait repassée soigneusement pour l’occasion...

Elle s’était coiffée du mieux que ses cheveux fins et cassant l’autorisaient. Elle s’était parfumée aussi ; un musc épicé, tout à fait masculin qu’elle appréciait porter. Il allait falloir répéter cela tous les matins désormais. C’était fastidieux mais nécessaire à Gwynette. Cela nécessita qu’elle soit dans son grand âge pour qu’elle sache les voir, les éléments qui annoncent la fin d’un cycle. La vie de Gwynette, c’était faire et laisser les choses défaire. Elle ne défaisait jamais activement contrairement à son ami Guibert, autrefois. Le but recherché était toutefois le même chez l’un comme chez l’autre : Il fallait que le monde soit toujours sur le point d’être défait, de se briser, de devenir ruines sur lesquelles autre chose pourra être reconstruit. Ils vivent pour entrevoir les futurs, à la recherche de l’un qui serait exceptionnel. Il y eut tant de cycles dans la vie de Gwynette qu’elle ne les comptait plus. Et jamais l’étape de la destruction devenait moins douloureux. La différence était, qu’avec l’âge et la connaissance d’elle-même, elle avait appris à confronter cette force, et s’apprêter consciencieusement consistait en cela : quand viendra le moment tragique de la destruction, quand la vie se défera autour d’elle, ses faiblesses et sa vanité ne la retiendront pas de s’abandonner entièrement à l’instant présent, de ressentir cette force, de l’éprouver, de la tester. Gwynette considérait cela : Mieux valait accueillir humblement la douleur plutôt que de se laisser envahir par ce monstre de force qui de toute manière entrera avec ou sans résistance. Elle est déesse toute puissante dans l’existence et les fous seuls tentent pathétiquement de lui échapper.

Cette journée fut des plus banales. Gwynette s’affaira à nettoyer quelques chambres, à préparer des repas, à balayer l’entrée... Le soir venu, elle s’accorda un moment pour ressentir pleinement les forces de la vie, elle s’affala dans son fauteuil et se laissa couler dans ses pensées. Lorsqu’elle fut lasse de cela, elle ouvrit les yeux et observa le ciel grisâtre se déroulant éternellement devant elle.

Cela ne dura pas longtemps. On frappa à la porte de sa chambre.

Elle ouvrit la porte.

C’était Guibert qui présentait un jeu de carte en guise de toute parole.

Gwynette sourit tendrement.

13.

Autour de la petite table sous la fenêtre, les deux amis observaient la clairière grise. Gwynette rompit le silence.

« La souffrance, c’est indescriptible, Guibert. Pour sûr, l’art, même des plus grands, n’a jamais transmit une once de la douleur de l’auteur (s’il en ressentait sincèrement). »

Guibert acquiesça de la tête. Gwynette reprit :

« Ces... problèmes de boisson que tu avais, et les miens, au final, ne sont pas si différents...

Nous... testons la force des choses... Et puis le lendemain, elles nous écrasent. Autant qu’on le peut, on se dit que c’est terminé, que si l’on s’en sort, on ne pourrait plus supporter une telle force, qu’on arrêtera. Pendant quelques jours, le souvenir du désespoir est vif, et l’on croit savoir qu’on saura se résigner, rester... sage. Et puis on oublie. On oublie la douleur.

Je voulais m’en souvenir, pour ne plus jamais revivre cette douleur, pour l’éviter à l’avenir. Alors j’ai écrit des notes pour moi-même dans mes moments de détresse les plus intenses : « Ne recommence plus. Douleur insoutenable. Pitié. Pitié. Pitié. » Et aujourd’hui, Guibert, ce drame qui fait que je suis encore vivante : c’est l’oubli. Aujourd’hui que je repense à ces notes, elle ne m’évoque aucunement l’intensité des émotions que j’ai dut ressentir à ce moment... Je vois une mélancolie doucement agitée, une femme qui hurle silencieusement, qui pleure paisiblement. Je sais pourtant la vérité que je ne ressens plus : C’était dangereux, et la douleur m’entaille toujours si profondément même si je ne le ressens plus. Combien est épaisse ma chair, Guibert ? Mon cœur ne peut plus être très loin d’être touché depuis tout ce temps.

Ça vient, Guibert. Je le sens. »

L’homme écoutait Gwynette silencieusement, patiemment. Il avait assez souffert pour savoir cela : Elle, comme les pensionnaires de cet hôtel, comme lui-même, portent en eux un champ dans lequel une bataille éternelle gronde. Eux-mêmes sont des guerriers, violents, et au cœur sensible. La bataille, s’ils n’ont pu la livrer sur d’autres corps, c’est bien à cause de ce cœur. Mais des batailles, il en faut pour de tels tempéraments, et c’est alors en eux, plutôt, qu’ils permettent qu’elle se livre. Gwynette menait la sienne en ce moment même, et il n’y avait rien d’autre à faire qu’à regarder.

La vieille femme élucubrait toujours sur l’ennui quand du coin du regard, elle et son compagnon perçurent une masse floue de chair et de tissu blanc traverser de haut en bas.

Dans les ténèbres noires, celles qui viennent après le flash d’un orage ; comme la détonation qui le suit : le son abominable, soudain et simultané, tout à la fois, d’os broyés, étouffés par toutes les substances musculeuses et spongieuses du corps et de liquide giclant, tapant aux parois de l’hôtel, aux carreaux derrières lesquels se trouvaient Gwynette et Guibert.

Le visage de la vieille femme se plissa et les larmes se mirent à couler sur son visage avant même qu’elle ait pu fermer les yeux.

Le désespoir point en Guibert violemment. Il ferma les yeux doucement comme pour entamer calmement une lutte qui mobilisera toute son expérience.

Le sang d’Iphie teintait le paysage au travers les carreaux de la fenêtre. Et maintenant rougeoyante, la lune coulait sur les arbres sombres.

14.

Triste, un enterrement l’est toujours. La pire des crapules laisse déjà le constat amer de l’échec d’une société, de l’échec d’une espèce ou du drame qui fait qu’il ait été un mal nécessaire pour une raison ou pour une autre, étant part d’un plan, humain ou divin. Quant à Iphie, le malheur de sa destinée aura un sens. Ceux qui ont entendu son histoire se questionneront sur la condition d’être d’une personne douce et hantée. Ils s’imprégneront peut-être de la poésie de son existence, et s’en satisferont de sorte qu’ils n’auront plus besoin de vivre une expérience pareille pour voir ce qu’il y a à voir dans cette tempête.

Iphie fut enterrée au-delà de la lisière de la forêt, aux côtés de tous les autres. Guibert et Gwynette se tinrent compagnie durant toute la journée, mais n’échangèrent aucun mot. Cela n’était nullement nécessaire.

Leurs larmes taries, ce n’est qu’à la tombée de la nuit, dans la chambre de Gwynette et alors qu’ils jouaient aux cartes, que Guibert rompit le silence.

« Deux, en l’espace de si peu de temps... Est-ce que... Tu les aimes tous autant, toujours ?

— Certainement... articula distraitement Gwynette.

— Mmh, marmona pensivement Guibert.

— Guibert... Tu me succéderas, un jour. Il y a... un nombre de drame limité qu’une personne peut endurer. « Ce qui ne nous tue pas, nous rend plus fort » a dit quelqu’un — Je ne sais plus qui. Ah, ce n’est pas la phrase la plus subtile de son œuvre. Il était trop poète, ou alors il n’a jamais rencontré de personne blessée sérieusement.

— Il faut voir ce qu’il entend par « ce qui ne tue pas ». Il faisait peut-être référence à des choses sans gravité.

— Ah, c’est vrai. Ce qu’il s’agit de faire ici... n’entre pas dans cette catégorie, alors. Ce qu’il s’agit de faire ici, me tuera.

— Ah, ah ! Guibert ria sans conviction et continua. Et me tuera aussi, un jour, alors.

— Es-tu certain, Guibert ?

— Il faut bien que cet endroit existe.

— Promets-moi — Oh, je sais que tu le fais déjà, mais je veux le dire —, promets-moi de ne jamais porter de jugement sur les pensionnaires. D’être une présence bienveillante, ni moralisatrice, ni paternelle ; de les aimer prudemment, de les respecter, parce qu’en chacun d’eux, il y a quelqu’un qui a voulu vaincre dans une situation de péril, pour la gloire ; les anoréxiques, les prisonniers, les alcooliques, les poètes, les drogués, les pauvres, et pour ceux-là, ceux qui ont échoué à vaincre (le regard de Gwynette s’embua), soit là, soit le lieu, où ils auront le choix de rester... ou de partir...

— Au moment venu, Gwynette, je te le promettrais. Ce n’est pas l’heure.

— Oui, oui... Peut-être... Ah, c’est dur, Guibert...

— Que fait-on, maintenant... ? »

Du bon de son index osseux Gwynette essuya délicatement les larmes à ses yeux.

« Nous sommes mortels, Guibert. Cela est bienheureux. Je me suis toujours imaginée sur mon lit de mort, et à ce que je penserais à ce moment. Aurais-je peur ? Aurais-je des regrets ? La vie est une chose mystérieuse. Mon inquiétude sur ce lit serait de ne pas pouvoir me dire que j’ai osé vérifier ces mystères ; d’arriver à la tombe intacte après une vie confortable dans un foyer chaleureux... Et craindre d’être froide, car je ne serais pas rassasiée de mon bonheur, car je voudrais encore voir des choses.

J’ai vécu difficilement. J’ai exploré la part glacée et obscure du monde comme une fourmi perdue. J’y ai vu certaines choses qui en valaient la peine — et cela, que j’ai bien compris ce qu’étaient ces choses ou non. Je me suis endurcie au froid. Et j’arriverais à ma tombe épuisée, abîmée. Je pourrais alors me dire : “C’est bon, j’en ai vu assez. Je peux partir.”

“Que fait-on ?” demandais-tu. On continue, mon ami. On continue jusqu’à ce que la lumière s’éteigne. Tâchons pendant ce temps d’être là pour ceux qui auraient été abîmés trop rapidement et peut-être souhaiteraient se donner un peu plus de temps.

Plusieurs bruits étouffés de bois cogné se firent entendre. On frappait à la porte de l’hôtel.

Gwynette ferma les yeux. Elle les rouvrit quelques instants plus tard. Elle inspira profondément. Elle expira lentement, se leva, remit sa chaise en place, épousseta sa robe et sortit dans le hall de l’hôtel.

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